Laser du lundi : Quels sont les vrais desseins du duo Alpha Condé-Kassory Fofana, en Guinée et au-delà ? (Par Babacar Justin Ndiaye)


Le refroidissement progressif du chaudron universitaire et la brise littéraire du tome 1 de la « Vision Républicaine » du nouvel auteur, Macky Sall, ont créé un climat doux (non pollué par les lacrymogènes) et propice à la pose d’une précieuse passerelle entre la politique domestique (intérieure) et la géopolitique du voisinage. Au nord du Sénégal, le Président mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz, transforme méthodiquement le verrou limitatif des mandats en un viaduc constitutionnel qui débouchera sur un troisième quinquennat pour lui. A l’est, le Mali organisera, dans deux mois (le 29 juillet), une élection présidentielle sur un vaste territoire où l’Etat central n’est central qu’à Bamako. Hors de la capitale, l’Etat malien s’évapore, tandis que les organisations terroristes, les milices tribales et les groupes d’autodéfense ethniques essaiment, se ramifient sans cesse et s’expriment violemment. Au sud, le Président guinéen a remanié son gouvernement sous un angle qui embrume l’horizon électoral de 2020, date de la fin du second mandat du Professeur Alpha Condé.

 

En effet, le remaniement ministériel du samedi 26 mai, est aux antipodes de la routine. Le changement de Premier ministre et l’ampleur des départs et des arrivées ayant donné corps à l’équipe gouvernementale, signent un balisage millimétré du futur politique de la Guinée. Les desseins se dessinent de façon nette. La manœuvre s’amorce et s’affiche à travers la nomination d’Ibrahima Kassory Bangoura à la tête du gouvernement. Un choix qui vise manifestement les objectifs que voici : désarçonner l’opposition significative, conforter l’ancrage du RPG-Arc-en-ciel en Basse-Guinée, prendre électoralement en étau la Moyenne-Guinée déjà géographiquement prise en sandwich par la Haute-Guinée et la Basse-Guinée et, in fine, poser les jalons d’un long, voire d’un interminable bail entre le Président-fondateur du RPG et la Guinée. Le premier volet du bail reste, bien sûr, l’obtention du troisième mandat. Ce pays est-il toujours voué à être la chose d’un Timonier ou d’un Responsable suprême ?

 

En tout cas, le duo Alpha Condé-Kassory Fofana travaille dans ce sens, via une feuille de route non entièrement dévoilée. Le rôle assigné au nouveau Premier ministre étant aisé à cerner. Natif de la ville de Forécariah, en Basse-Guinée, Ibrahima Kassory Fofana appartient à la crème de l’ethnie soussou. Les connaisseurs de la Guinée savent qu’il est un « Moryanais », issu donc de cette partie très tôt évoluée du pays soussou (le Morya) dont les fils ont figuré parmi les premiers cadres de la Guinée indépendante. On peut citer : Fodé Mamoudou Touré (oncle maternel de feu Babacar Ndiaye de la BAD), Naby Youla, Karim Fofana, Karim Bangoura et autre Kassory Bangoura, ami personnel de Sékou Touré, tué par le même Sékou Touré. Une pléiade de cadres que les Soussous appelaient les « Fotés », mot qui signifie « Toubab » en Ouolof. La mission claire du nouveau Premier ministre est donc de faire tomber l’électorat soussou dans l’escarcelle d’Alpha Condé. Ce qui suppose qu’il supplante l’ex-Premier ministre Sidya Touré, en Guinée-Maritime. L’autre considération – prosaïque mais essentielle dans les batailles politiques – est le manque d’aisance d’Alpha Condé dans le maniement de la langue soussou. Une carence que comble Ibrahima Kassory Fofana. Un premier ministre tellement disponible qu’il a dissous son Parti, la GPT (Guinée Pour Tous) dans le RPG-Arc-en-ciel du Président de la république.

 

A l’échelle de toute la Guinée, la feuille de route du nouveau gouvernement renferme l’invariable et l’éternelle priorité : isoler Cellou Dalein Diallo puis pulvériser l’UFDG. Cette fois-ci, l’arme psychologique est habilement utilisée. Ainsi, le Président Alpha Condé arme un ancien Premier ministre du Président Lansana Conté (Kassory Fofana) contre un ex-Premier ministre (Cellou Dalein) des années 90. L’un ayant jadis servi sous les ordres de l’autre. Machiavel rôde autour du Palais Sékoutoureya. Au demeurant, la farouche volonté de s’éterniser au pouvoir est telle que le chef de l’Etat guinéen accorde sa confiance à ses anciens bourreaux, c’est-à-dire les proches collaborateurs de Lansana Conté qui l’avaient traqué, condamné et emprisonné. Sans oublier certains membres de la Junte de Dadis Camara (2008-2010) que le Professeur-Président recycle et promeut (tels le Colonels Tiegboro Camara et Claude Pivi) pourtant très mouillés dans les massacres du 28 septembre 2009. Le procès du capitaine Toumba Diakité – extradé par le Sénégal – peut attendre Godot, comme dans la pièce théâtrale de Samuel Beckett.

 

Le chantier anti-démocratique sur lequel travaille le gouvernement Kassory, montre bien que l’ancienne figure de prou de la FEANF (Alpha Condé) n’est ni un champion du consensus fécond ni un chantre du dialogue fructueux. A la lumière du remaniement de samedi et à la lueur de l’agenda caché du duo Alpha-Kassory, le rapprochement, d’avril dernier, entre le chef de l’Etat et le chef de l’opposition par l’entremise de l’avocat Boucounta Diallo, a conforté le scepticisme profond des observateurs avisés de la scène politique guinéenne. Ce fut un tête-à-tête purement vaudevillesque. La bonne volonté de Maitre Boucounta Diallo (vieil ami d’Alpha et nouvel interlocuteur de Dalein) ne peut pas venir à bout des pesanteurs politico-sociologiques de la Guinée-Conakry. Changer les mœurs et les reflexes en vigueur dans ce pays, c’est aussi ardu que déplacer le Mont Nimba. Malgré un séjour prolongé sur les bords de la Seine, Alpha Condé garde et cultive les manières qui prospèrent sur les berges du fleuve Milo.

 

Si Alpha Condé est le maitre du jeu et le moniteur des micmacs à l’intérieur de la Guinée, il en va autrement à l’extérieur. La France cautionnera-t-elle la quête d’un troisième et anticonstitutionnel mandat ? Ce n’est pas évident. Et l’éclatement de l’affaire Bolloré fournit un avant-goût du lâchage de Paris, malgré la visite-test effectuée par le Ministre-Conseiller Rachid Ndiaye à l’Elysée, auprès de la fameuse Cellule-Afrique. Justement, il semble que l’opposant Cellou Dalein Diallo cherche à s’engouffrer dans les failles probables du soutien français, jusque-là, acquis à Alpha Condé. Pour l’instant, le plus colérique des chefs africains (la presse guinéenne subit régulièrement ses assauts) fulmine contre les donneurs de leçons occidentaux, c’est-à-dire les défenseurs de la limitation des mandats. Une limitation des mandats que le Professeur-Président considère comme une « affaire de Blancs » selon sa propre formule. Ah bon ! Pourtant, ce sont le « Blanc » Bernard Kouchner et la Francophonie (un machin des Blancs) qui ont installé Alpha Condé au pouvoir, en 2010, avec l’aide du Général malien Siaka Sangaré, comme Président de la CENI. Le Général Siaka Sangaré qui rédige actuellement un livre, fera certainement (pour les historiens) d’intéressantes révélations sur l’inqualifiable scrutin de 2010.

 

Farouchement hostile à la limitation des mandats en Guinée, le Président Alpha Condé est également le pèlerin d’une telle conviction sur le continent africain. D’où sa collusion poussée avec Faure Eyadema, le digne héritier de son père Gnassingbé Eyadema, le recordman des mandats présidentiels en Afrique. Une attitude qui lui avait fermé les portes de toute médiation dans la crise togolaise quand il assumait la Présidence en exercice de l’Union Africaine. Au Liberia, des sources diplomatiques dignes de foi ont signalé son opposition mal cachée à la victoire électorale de George Weah. En outre, Alpha Condé est agacé par les premières visites que les deux chefs d’Etat fraichement élus du Liberia et de la Sierra-Leone (George Weah et Julius Madabio) ont réservées au Sénégal. Dakar qui n’est pas membre de la Mano’River Union (Union du Fleuve Mano) qui regroupe Conakry, Freetown et Monrovia.

 

PS : En caressant dans le sens du poil les Généraux Boureïma Condé, Ministre de l’Administration du Territoire et Mathurin Bangoura, Gouverneur du District stratégique de Conakry, (un autre Soussou du Morya, comme le Premier ministre Kassory) le Président Alpha Condé s’assure le soutien de l’armée dans sa logique du Tout Sauf Dalein. Au cas où l’idée du troisième mandat ne passe pas la rampe de l’opinion, de la société civile, des médias et du corps électoral, le duo Alpha Kassory jouera la carte de l’instabilité vite ponctuée par un coup d’Etat militaire (recherché et souhaité) qui réduirait en cendres, les chances d’une alternance possible par les urnes.  

Lundi 28 Mai 2018
Dakar actu